Champagne De Sousa : le retour du cheval

En Champagne, on observe deux tendances extrêmes. D’un côté, ceux qui misent sur les nouveaux tracteurs high tech, sans conducteur, de l’autre, ceux qui parient sur le cheval, lequel n’aurait pas dit son dernier mot ! Terre de vins est allé rencontrer Julie De Sousa sur la Côte des blancs, en pleins labours de printemps, pour en savoir plus sur les avantages et les inconvénients de cette technique.

Quelle tâche accomplissez-vous à cette saison avec vos chevaux ?
Je m’occupe de l’ouverture du sol, je le retourne sur cinq centimètres, à la fois au niveau des interceps et au milieu du rang, pour freiner la pousse de l’herbe qui commence à grandir. Il s’agit de l’empêcher de concurrencer trop la vigne quand viendra l’été. Nous sommes dans la phase la plus difficile, parce que la succession du gel et du dégel a tassé le terrain. Les prochains passages seront plus faciles, on aura fait le plus gros. Sur 10 hectares de vignes, j’en laboure ainsi 3,5, avec deux chevaux, Capucine et Vidoc.

C’est un travail très physique ?
Je n’ai pas besoin de me remettre au sport le soir ! Mais cela se fait… La charrue pèse 55 kg, normalement elle est assez lourde pour que je n’aie pas à appuyer. Le reste est une question d’équilibre pour éviter qu’elle aille trop à droite ou à gauche. Le cheval obéit à la voix, j’ai les rênes autour du cou, donc je n’ai pas de difficulté à piloter la charrue et le cheval en même temps. Il connaît d’ailleurs son travail. Il faut surtout faire attention à la météo et bien connaître ses sols. On évitera par exemple d’aller labourer les terroirs argileux après quinze jours de beau temps et on privilégiera les lendemains de pluie. Si j’avais attendu trois jours de plus pour attaquer la parcelle sur laquelle j’étais ce matin, la terre aurait été trop dure, là, c’était le bon moment, je n’ai pas trop forcé.

Est-ce que vous pourriez me donner les avantages et les inconvénients du travail avec le cheval comparé à celui effectué à l’aide d’un tracteur ?
Le tracteur avance à la même allure que le cheval, soit environ 4 kilomètres/heure, mais il travaille deux fois plus vite parce qu’il fonctionne sur deux rangs à la fois. Là où je gagne du temps, c’est lorsque les parcelles sont éloignées : je n’ai pas à faire une demi-heure de tracteur sur la route pour y arriver, il me suffit de charger le cheval et la charrue dans mon camion et j’y suis tout de suite. Je peux aussi passer sur des parcelles qui seraient inaccessibles au tracteur, parce qu’il y a trop de dévers, et qu’il risquerait de se renverser. Le tracteur arrache plus facilement des ceps, en particulier les vieilles vignes et les très jeunes qui sont fragiles. Alors que le cheval est dressé : dès qu’il sent une tension, il s’arrête. Sur un tracteur, les outils sont au niveau des pieds du conducteur, si ce dernier veut surveiller, il lui est plus difficile de regarder en même temps où il va. Avec un cheval au contraire, le conducteur n’a que la charrue à regarder parce que l’équidé est autonome et se dirige presque seul. En revanche, au niveau du temps de travail, il faut ménager l’animal. En hiver, la tâche est plus dure, je ne dépasse jamais deux heures, l’été où je ne fais qu’un griffage superficiel, le cheval peut tenir trois heures. J’adapte aussi en fonction de la météo : s’il fait trop chaud, j’arrête. Au niveau de la qualité des vins, le cheval tasse moins la terre ce qui favorise le développement de certains champignons qui aident la vigne à absorber ses nutriments, nous avons baptisé une de nos cuvées de leur nom « Mycorhize » (63€).

Si on compare les prix, un cheval dressé s’achète entre 4000 et 6000 euros. En hiver, chacun me coûte deux euros de foin par jour et en été j’ai besoin de trois hectares pour les laisser paître, mais l’herbe est gratuite. Quant à l’entretien, ferrage et vétérinaire, le coût est minime comparé à celui d’un tracteur (pneus etc.). Ma première charrue était celle de mon grand-père, elle ne m’a rien coûté, je l’ai retrouvée dans un grenier. J’en ai acheté aussi une à un forgeron dans l’Aube, pour 1500 euros, toute équipée, et une dernière en brocante, pour quelques dizaines d’euros. Je l’ai prise parce qu’on a besoin de différents socles selon le travail que l’on effectue et parce que pour les vieilles charrues, on ne trouve plus les pièces, cela permet de les remplacer. Le camion est le seul véritable investissement. Le cheval est donc plutôt économique. En revanche, la contrainte est plus lourde. Il faut nourrir les chevaux tous les jours et vous ne pouvez pas emmener votre percheron en vacances comme vous le feriez pour un chien. Avec un tracteur, une fois le contact coupé, vous n’avez plus à vous en soucier.

Mais il n’y a pas que l’aspect économique et pratique, c’est aussi une manière de protéger une espèce en voie de disparition. L’un de mes chevaux est un auxerrois, une race pour laquelle il n’y a plus que trente naissances par an, plus personne n’utilise les chevaux de trait si ce n’est pour la viande… J’allais oublier l’aspect social. J’ai dans le village un véritable fan club d’enfants qui apporte du pain dur aux chevaux !

Avez-vous apporté quelques innovations dans votre manière de travailler les sols ?
Nous avons réintroduit le buttage en automne, une pratique fréquente en Bourgogne qui n’existait plus tellement en Champagne. Je reprends la terre du milieu et je la remets sur les pieds des vignes. En les enterrant, je les protège du gel et j’enterre aussi les graines dispersées vers la fin de l’été qui mourront. Dans certaines vignes, on était envahi par le liseron. Du jour au lendemain, il a disparu !

Pour illustrer cette compétition entre le travail artisanal et celui de la machine dont le vainqueur n’est pas toujours celui qu’on croit, Terre de vins vous propose de revoir cette scène culte du film italien « Le Vieux Garçon », où Adriano Celentano fait un concours de vitesse avec un pressoir automatique, le tout en musique…

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