Le vignoble varois sonné après l’incendie

Selon les premières estimations, entre 600 et un millier d’hectares de vignes seraient impactés à divers degrés par l’incendie qui a ravagé le Var la semaine dernière. L’évaluation des dégâts nécessitera encore plusieurs mois, sans compter l’impact inévitable sur les vendanges et les vinifications à venir.

Les paysages lunaires des forêts calcinées et de vignes roussies font peine à voir. Après que l’incendie a ravagé plus de 6500 hectares à partir de l’aire d’autoroute de Sigues sur la A57, à hauteur de Gonfaron, et mobilisé 1200 pompiers, la filière viticole est abattue par l’ampleur du sinistre. « Je n’avais jamais vu un feu galoper comme ça, un vrai volcan », raconte Eric Pastorino, président de l’interprofession des vins de Provence et de la cave de Gonfaron. Certains ont tout perdu, comme le domaine de la Giscle à Cogolin, où Pierre Audemard a vu partir en fumée cave, chai, cuves, barriques, machines et stocks de vin (cagnotte sur leetchi.com), le domaine de Théolier à La Garde-Freinet, où les Pinannetti ont perdu leur maison et 70% de leurs vignes (cagnotte sur onparticipe.fr), ou encore le domaine de la Tourre, à Grimaud, l’une des communes les plus touchées, et où tout le matériel des Giraud a brulé à quelques jours des vendanges.

La plaine des Maures sinistrée

Le domaine de Reillanne de Chevron-Villette a sauvé les bâtiments mais une partie des vignes près des bois a subi un énorme choc de chaleur et certaines sont complètement desséchées. Également dans la plaine des Maures, le domaine Mirabeau, près de La Garde-Freinet, accuse d’importants dégâts. « Nous avons perdu un hangar, du matériel et il n’y a plus de feuilles sur quelques parcelles, se désole la propriétaire Jeany Cronk. Une forte chaleur émane toujours du sol. On attend de faire un point avec l’œnologue et de lancer des analyses mais on ne pourra peut-être vendanger à la main que quelques vignes autour de la maison qui heureusement n’a pas été touchée. »
Non loin de là, les trois domaines de Mark Dixon, dans la plaine, ont été miraculeusement préservés. « Saint Roux et Up ont servi d’accueil et de ravitaillement pour les 80 pompiers qui sont intervenus dans les environs, raconte le directeur marketing de MDVC Provence, Maxime Mathon. Quelques pins parasols ont flambé et des vignes ont roussi aux Bertrands et les animaux avaient été évacués. Mais le domaine qui abrite notre centre logistique et de vinification pour le groupe a fait l’objet d’attentions particulières et, du coup, les arrosages d’eau salée des canadairs sur les vignes auront forcément un gros impact sans compter les goûts de fumée. On s’attend à des pertes de récolte de l’ordre de 80%, sans doute une année blanche aux Bertrands, et il faudra énormément trier et être particulièrement vigilant sur la qualité en écartant des parcelles. On espère que les pluies annoncées pour les deux jours à venir vont faire un premier lessivage mais il faudra être vigilant aussi après car le goût de fumée peut aussi apparaître au moment de la vinification. »
Au château Saint Maur, à Cogolin, le directeur Marc Monrose et le directeur technique Patrick Galliano sont restés dehors une quarantaine d’heures à guetter « la progression des flammes qui arrivaient direct sur la cave mais, heureusement, les vignes ont bien fait pare-feu et la cave qui était sous surveillance constante a servi de centre de repas pour les équipes de pompiers, raconte Marc Monrose. Il n’y a plus un arbre autour du domaine. Les trois, quatre premiers rangs de vignes ne seront de toute façon pas vendangés et on devra faire des analyses avant la récolte. En revanche, nous avons plus de dégâts à Riotor, au Cannet-des-Maures [racheté fin 2019], car on ne peut pas désherber en zone Natura 2000 et nous aurons sûrement 5-10 hectares inutilisables à cause de l’aspersion par les retardateurs. » 

L’interdiction de débroussaillage en question

Même si l’heure n’est pas à la polémique, nombreux sont les vignerons qui évoquent le problème des zones non désherbées qui participent à la propagation du feu. « La réserve naturelle nous a reproché de faire de l’écobuage autour des parcelles, mais c’est quand même ce qui nous a sauvés, estime en colère Maxime Mathon. On ne peut pas mettre en danger les hommes pour protéger les tortues et opposer sans cesse l’activité humaine et la protection de l’environnement. On ne peut pas non plus nier que les vignes servent de pare-feu et c’est primordiale dans le Var, régulièrement touché par les incendies. Quand on est certifié bio et HVE3, on ne peut pas être accusé de ne pas être attentif à la biodiversité et cette opposition est stérile. La réserve est une chance mais il faut laisser les vignerons y participer activement. » Même constat pour Eric Pastorino, qui estime qu’après l’énorme travail d’identification des dégâts, il faudra rapidement « organiser une table ronde avec la Chambre d’agriculture et la réserve naturelle. Le débroussaillage n’aurait pas empêché l’incendie mais il aurait limité son étendue et, dans ce domaine, il faut arrêter le dogmatisme et réfléchir ensemble à des solutions. »

Une mobilisation solidaire

Une cellule de crise pour les vignerons mais également pour les agriculteurs, les éleveurs et les oléiculteurs a d’ores et déjà été mise en place à la Chambre d’agriculture du Var en attendant le ballet des experts. « Une solidarité naturelle se met en place pour le prêt de matériel, comme la cave de Grimaud qui va aider Giscle pour les vendanges, et une réunion est prévue pour les échanges et les prêts entre vignerons, précise Eric Pastorino. Par ailleurs, le Centre du rosé diffuse quelques conseils de parcours techniques à mettre en place pour limiter les risques de goût de fumée mais tout dépend de l’intensité et on n’évitera pas un gros travail de sélection. » Le bilan des dégâts et des pertes de récolte n’interviendra pas avant plusieurs semaines ; on estime à ce jour entre 600 et un millier d’hectares de vignes impactées à divers degrés. « Et c’est sans compter l’impact économique difficilement évaluable du départ précipité des touristes fuyant la région [environ 10 000 ont été évacués] et de ceux qui ont annulé leur venue », conclut Frédéric Schaeffer, directeur des Maîtres Vignerons de Saint-Tropez. Un dommage collatéral non négligeable alors que les visiteurs étaient revenus en masse dans les caves pour déguster et acheter du vin.

Photos : Domaine Mirabeau

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