Listrac : le château Reverdi se met au vert

Ce Cru Bourgeois Supérieur en appellation Listrac a accompli depuis 20 ans une mutation sur sa politique commerciale. Le voilà sur un nouveau projet : la conversion en bio.

S’inscrivant dans les pas de leur grand-père, qui débuta en 1953 avec seulement 3 hectares de vigne, Audrey et Mathieu Thomas, frère et sœur, cogèrent maintenant le vignoble familial depuis le début des années 2000. La surface s’est considérablement agrandie puisqu’on compte maintenant 32 hectares répartis sur trois propriétés : le château Reverdi et le château l’Ermitage en appellation Listrac, et 5 hectares sur la commune de Cussac (Croix de Reverdi) en appellation Haut-Médoc.
Concernant Reverdi, c’est, non sans une certaine fierté, que ce château accède au rang de Cru Bourgeois Supérieur lors du nouveau classement de 2020. Le résultat d’une réflexion, « une philosophie » dirait Mathieu, et d’un travail soigné. La réflexion aura porté sur la politique commerciale et sur la conversion en bio, un cheminement logique pour ce dernier point.

Une inflexion nette sur la politique commerciale

Il y a vingt ans on voyait beaucoup château Reverdi en Grande Distribution (le dernier millésime en GD est un 2003). Aujourd’hui ? Non. On le sait, la GD présente l’avantage de pouvoir écouler de forts volumes mais elle réduit les marges du propriétaire. « On a arrêté de travailler avec certains négociants car on voulait mieux maîtriser notre distribution » dit Mathieu. Et Audrey de compléter : « Nous voulions valoriser le Cru Bourgeois Reverdi. On a borné davantage nos marchés et le négociant est désormais choisi en fonction des marchés cibles qu’il nous propose ». Et si la GD diminue, quelles sont ces nouvelles cibles ?
L’export tout d’abord. Audrey explique que celui-ci « a augmenté pour Reverdi : on est passé de 10% à 60% des ventes. Le reste, c’est de la clientèle particulière, des cavistes et des grossistes (pour la restauration surtout) ». L’export se fait majoritairement au États-Unis « grâce au travail d’un commercial que nous avions et qui a développé la marque Reverdi, en participant à des dégustations et en faisant de la prospection. Au fil du temps, les gros acheteurs historiques sont restés fidèles ». Fidèle car la qualité a été récompensée : « le fait d’avoir des récompenses et des commentaires de dégustations favorables, mais aussi d’avoir des tarifs constants et réguliers, tout cela favorise le lien avec nos acheteurs. On accueille aussi jusqu’à 3000 personnes par an, grâce à des agences réceptives de Bordeaux, mais aussi de Paris et Londres, sans oublier tous les prescripteurs de Bordeaux et du Médoc (chambres d’hôtes, hôtels) ». Concernant le développement de la clientèle particulière, Mathieu nous explique : « on a choisi en parallèle de faire de l’accueil à la propriété, mais, attention, il faut de la cohérence dans les prix car on ne peut voir une bouteille en GD à 8 € et la commercialiser à 15 € à la propriété ». Il fallait donc choisir. C’est fait.
L’assise acquise grâce à ce succès commercial permet de concrétiser un projet commencé il y a un moment déjà, en mettant en pratique quelques intuitions : la conversion en bio.

La conversion en bio : pour le millésime 2023

« Le bio est dans la continuité de la certification HVE car celle-ci n’était pas une fin » nous dit Mathieu. Et l’on devine que depuis quelques années déjà, flottait sur la propriété cette envie de moins traiter et de faire plus vertueux. Pour preuve, Audrey dit « qu’on s’est séparé des CMR (NDLR Produits Cancérogènes, Mutagènes et Reprotoxiques) en 2015. On n’a plus d’antibotrytis depuis 5 ou 6 ans ».
Mathieu est clair sur les raisons qui ont poussé le tandem à changer leur mode culture : « on ne fait pas cela sous une pression sociologique. On habite ici, on a les enfants qui se promènent dans les vignes. Je n’ai pas envie de dire à mes enfants ‘ne va pas jouer dans cette vigne, je viens de la traiter’. Les anciens ont pris des chemins qui leur ont été imposés. Il y a une modification des pratiques et on souhaite se ré-appropier certaines pratiques telles que le travail du sol, plus cohérente avec notre philosophie et notre cadre de vie ». Audrey ajoute que « le travail du sol, on le maîtrise à 90%, le deuxième volet sera la protection phytosanitaire ». Mathieu poursuit avec une voix engagée : « il y a 20 ou 30 ans les gens pensaient que l’agriculture biologique c’est des ‘hurluberlus’ qui en font : mais les mentalités ont évolué. Il y a des prises de consciences qui sont là » et qui prouvent que le bio est pris au sérieux par le consommateur. Et si les enfants de Mathieu et d’Audrey, et ceux de leurs voisins, doivent pouvoir continuer à aller dans les vignes et la campagne environnante, l’avis du consommateur pèse aussi. Tout cela se traduit « dans un projet d’entreprise ».

Lorsqu’on évoque les risques liés à la production en bio Mathieu reste ferme. « Si le bio ne marche pas, il vaut mieux changer de métier. On ne reviendra pas sur une agriculture conventionnelle ou de synthèse. On ne peut pas faire machine arrière. Lorsqu’on travaille les sols, on voit qu’il y a une autre vie ». Et puis, « on prend les devants et on souhaite rester capitaine du navire. On veut garder la maîtrise et le contrôle plutôt que de se voir imposer les choses ».
Sur l’aspect budgétaire, Audrey est sereine : « quand on a vécu 2017, il faut relativiser beaucoup de choses. Il y a l’avant 27 avril 2017 et l’après » (NDLR, le gel avait ruiné les espoirs des viticulteurs pendant la nuit du 26 au 27 avril 2017, et le château Reverdi n’a pratiquement pas eu de production). « Il n’y a qu’un seul pulvérisateur, il en faudra un deuxième pour le cuivre (4 kg à l’hectare de cuivre autorisés). En outre il faudra passer davantage. Mais on a déjà le personnel. S’il y a plus de passages, il y aura davantage de carburant à prévoir car le travail du sol sera plus important. Mais le pôle dépense va être contenu par les moindres dépenses de produits phytosanitaires ».

Et, au château Reverdi, ce passage sur le sol a fait l’objet d’une expérimentation, la venue d’un troupeau de brebis au milieu des rangs de vigne. Audrey explique avec un plaisir non dissimulé : « on a fait des tests avec de l’éco-pâturage fin 2020 sur 5 ha pendant 2 mois avec des brebis. Nous achetons la prestation d’un berger qui s’occupe de l’installation de la clôture électrique et qui assure la surveillance du troupeau. Quand les brebis ont fini à Reverdi, elles vont à Fourcas Hosten. On évaluera les bénéfices au moment de la repousse de l’herbe qui devrait être retardée ».

C’était inscrit dans les gènes comme dans le nom. Le château Reverdi se met au vert, avec une démarche sincère et authentique, et aussi avec un certain sens du challenge.

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Une combinaison de solutions contre le changement climatique

Les Vignerons Engagés, premier label RSE et de développement durable du vin, ont organisé sous la houlette de la directrice Iris Borrut des rencontres digitales sur les enjeux du dérèglement climatique et les conséquences sur la vigne et le vin. Comment limiter les émissions tout en continuant à faire du vin. La solution n’est pas unique mais relève d’un faisceau de stratégies d’amont en aval.

« Le réchauffement climatique menace la compétitivité et la durabilité du vignoble avec de fortes variations régionales, annonce d’emblée Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement). La solution doit être portée par les stratégies, les innovations, le réaménagement des vignes, l’évolution réglementaire et des actions d’atténuation de l’impact… à condition que le climat se stabilise d’ici 2050 selon les préconisations de la COP21 ». C’est dire si la bataille n’est pas gagnée. Il faut donc mobiliser toutes les énergies et jouer sur un faisceau d’actions pour contrer le phénomène. Une explosion de la température a été constatée depuis les années 80, accélérée entre 2016 et 2020 (+1,2°C comparé au XIXe siècle), avec des prévisions entre 1,5 et 2,5°C en 2050, jusqu’à 6°C en 2100 selon les émissions de gaz à effet de serre. « Et ça n’a rien à voir avec le réchauffement médiéval avec lequel certains font souvent la comparaison et qui était beaucoup plus limité, insiste Jean-Marc Touzard. Le réchauffement affecte toutes les régions avec un effet de continentalisation du climat, un peu atténué sur le pourtour méditerranéen par les effets maritimes ». Peu d’impact en revanche constaté sur la pluviométrie moyenne mais surtout une forte variabilité. Les prévisions indiquent que le Sud devrait évoluer vers un climat méditerranéen avec davantage de vagues de chaleur, une sécheresse estivale accentuée, une fréquence et une intensité accrues des épisodes de vents, pluies, et grêles avec une combinaison d’événements extrêmes déjà constatés depuis 2016.

Des conséquences multiples en volumes et valeur

Les conséquences sur la vigne et le vin sont indéniables avec en moyenne 20 jours d’avance depuis la fin des années 80 sur la maturité, de plus en plus décalée vers le milieu de l’été avec un bilan hydrique défavorable depuis le début des années 2000. « Cela engendre une altération de la qualité du raisin, une baisse des rendements et une menace de la pérennité du vignoble, en particulier sur des cépages comme le merlot, le chardonnay, le sauvignon, précise Jean-Marc Touzard. On constate une hausse des taux de sucre et d’alcool et une baisse des acidités, des phénomènes explicables, au moins pour moitié, par le changement climatique, une modification des profils aromatiques, des pertes de couleurs sur les rouges, voire des pertes de récoltes dues aux grillures et aux épisodes de grêle ». La localisation des terres favorables à la vigne évolue avec une diminution dans le sud de l’Espagne au profit du sud de l’Angleterre, de l’Allemagne, la Pologne et même la Bretagne qui compte déjà une centaine d’hectares avec un potentiel sur des cépages tels que le carignan, le pinot noir, le cabernet franc, le chardonnay… Le réchauffement induit également des effets indirects sur la biodiversité, les microfaune et flore, les bio-agresseurs, les sols, les incendies… d’où un impact sur les revenus, un risque économique de dévalorisation du vignoble, une modification de la hiérarchie des terroirs par exemple selon leur exposition, et un impact sur la concurrence entre les régions.

Jouer la combinaison de leviers

« Il faut absolument tabler sur une combinaison de leviers d’adaptation et sur le partage d’expériences entre vignerons, estime Jean-Marc Touzard. Jouer sur les porte-greffes et les cépages, choisir les plus tardifs, résistants à la sécheresse, produisant moins de sucre et plus d’acidité, réintroduire des variétés anciennes, tester des cépages d’autres régions et des hybrides pour leur résistance aux maladies mais surtout à la sécheresse, travailler sur de nouvelles pratiques agronomiques comme l’agroforesterie, la plantation de haies, les tailles en gobelet pour plus d’ombrage, relocaliser des vignes mais également changer les pratiques en cave pour réduire la teneur en éthanol et augmenter l’acidité des vins ». Les changements de pratiques doivent s’accompagner de changement de règles dans les cahiers des charges pour les encépagements, notamment accessoires, sur l’altitude autorisée, quitte à revenir aux anciennes limites d’aires d’appellation avec des parcelles autrefois abandonnées car elles n’arrivaient pas à maturité, et en matière de gestion globale des risques (réserves, assurances, solidarité locale…) Dans les stratégies globales à mettre en place, il faut aussi penser à économiser les intrants, isoler les caves réduire les labours, mieux organiser transport et logistique, mettre en place des filières de compostage et de capture de carbone, gérer le couvert végétal, planter arbres et haies… En amont, il s’agit de resserrer les liens entre chercheurs et viticulteurs ; en aval, entre vignerons et consommateurs pour tester leur perception de l’alcool et de l’acidité, les associer aux enjeux environnementaux, de qualité, de santé…

Exemples en régions

La Champagne qui a été la première région viticole au monde à avoir réaliser un bilan carbone a par exemple travaillé sur la réduction des intrants avec un objectif de zéro herbicide et une réduction de 25% des émissions en 2025 mais également sur l’allègement des bouteilles en verre et des cartons d’emballages qui peuvent peser du simple au triple. « Nous avons également arrêté l’utilisation des chaufferettes dans les vignes – aujourd’hui la lutte contre le gel passe par l’aspersion et le brassage des éoliennes, mais notre meilleur système antigel, c’est notre réserve individuelle, explique Pierre Naviaux, chef de projet Environnement à l’interprofession champenoise. Inutile de s’acharner à protéger les vignes par n’importe quel moyen quand les stocks sont pleins. La Champagne a également beaucoup travaillé sur l’efficacité énergétique des bâtiments et l’économie circulaire des sous-produits (marcs, bourbes et bois des vignes) avec la création de nouvelles activités en distilleries afin de valoriser toutes les molécules des raisins ».

A l’union coopérative Rhonéa dans la Vallée du Rhône Sud, on a profité de l’opportunité du Canal de Provence en s’attachant à une utilisation la plus durable possible. « 16% du vignoble a été irrigué mais nous travaillons dans le cadre d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) à faire évoluer les pratiques pour optimiser les ressources en eau et développer sur cette thématique les conseils personnalisés, explique Mathilde Joumas, responsable vignoble. Nous avons également investi dans une dizaine de station météo, dans des sondes de mesure d’humidité des sols pour connaître précisément les besoins de la plante et travailler en parallèle sur l‘enherbement et les couverts végétaux ».

Au Domaine Isle Saint Pierre dans le Gard (540 ha de vignes), la famille Henry a réfléchi ces dernières années au changement de l’encépagement. « On avait d’abord replanté dans les années 70 merlot, cabernets et chardonnay plus faciles à cultiver mais le changement climatique a peu à peu modifié les profils aromatiques avec aujourd’hui un problème de manque d’acidité, reconnaît Julien henry, quatrième génération sur le domaine. D’où une nouvelle réflexion sur des cépages comme le colombard et le malbec, plus acides, pour un rééquilibrage des assemblages. Nous étudions également une quinzaine de cépages résistants qui limitent les intrants et les tours de tracteurs ».

Autant d’exemples qui confirment pour Jean-Marc Touzard le fait que « l’agronomie, de plus en plus riche en savoirs, facilite aujourd’hui un compromis entre les différentes pratiques ». Mais toutes ces solutions sont corrélées à l’engagement de la France dans la stratégie Bas Carbone afin de baisser les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030. « Il est primordial d’associer les mesures d’adaptation et d’atténuation des impacts et d’élaborer plusieurs scénari de perspectives à différentes échelles, aussi bien au niveau national que local et par exploitation ou par familles d’opérateurs comme avec les caves coopératives, conclut Jean-Marc Touzard. Il n’y a pas de solution unique et surtout pas sans prendre en compte les attentes des consommateurs. Mais il faut être optimiste car le monde viticole est divers et créatif ».

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