Francis Huster, Molière et le vin…

Le prochain dîner du Bacchus Business Club à Marseille le 3 février recevra un invité de marque : Francis Huster. Alors que l’acteur livre bataille pour faire entrer Molière au Panthéon, il a accepté d’évoquer avec nous sa relation et celle du dramaturge au vin et à l’ivresse.

Francis Huster, vous êtes l’invité du prochain dîner du Bacchus Business Club, quel est votre rapport au vin ?

Ce soir-là, je serai l’intrus ! Dans ma famille, nous ne buvions pas de vin. Mon père, qui avait été pilote pendant la guerre était très rigoureux. Le jour où j’ai signé pour la Comédie française, François Florent, Jacques Spiesser, Yves Lemoine et Jacques Weber m’ont invité au restaurant. Ils m’ont servi de grands vins et nous étions tous un peu ivres. Ils m’ont ensuite raccompagné rue Monsigny, la rue du théâtre des Bouffes Parisiens, où j’habitais. Je rentre dans l’ascenseur qui était transparent, eux étaient en bas de la porte et me faisaient de grands gestes, et moi j’ai vomi sur la vitre ! Ils m’ont vu monter ainsi et ils ont bien ri. Depuis, je ne bois plus une goutte d’alcool.

A travers les rôles que vous avez pu avoir à jouer, les acteurs et les auteurs que vous avez pu rencontrer, vous vous êtes sans doute cependant intéressé au vin…

Oui et ce qui me frappe c’est que le mot vin vient du sanskrit « vena » qui signifie amical. Le vin est effectivement le meilleur ami de l’homme parce qu’il le met en danger et à chaque fois qu’un homme est en danger, il révèle le meilleur de lui-même. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’ivresse ne nous amène pas à l’oubli, mais à une juste prise de distance par rapport à la réalité. L’oubli c’est au contraire surévaluer le réel, sa pesanteur, lorsque vous vous mettez à penser à tout ce qui pourrait vous tomber dessus comme malheurs, alors qu’en vérité cela n’a rien à voir avec la vie. C’est pour cela que l’ivresse du vin, comme l’ivresse de la lecture, du théâtre, du cinéma est saine. Le vin vous pose comme un miroir face à vous-même dans lequel vous pouvez retrouver la joie, le partage, l’émotion, la grâce, mais attention à ne pas franchir la ligne rouge en traversant le miroir ! C’est d’ailleurs en cela que le vin est un véritable ami : il se mérite et implique d’avoir du caractère pour savoir aussi lui résister. En amitié, faute de personnalité, on se laisse absorber par l’autre. J’ai vu des comédiens qui arrivaient ivres sur les tournages, ils utilisaient l’alcool pour écarter le personnage et trouver leur rôle. C’est un danger qui conduit à la perte de soi-même.

Vous avez écrit trois livres sur Molière et joué plusieurs de ses pièces, quelle était sa relation au vin ?

Cela va vous sidérer : il n’en a jamais bu ! Par contre, on a des documents qui prouvent que Scarron, Boileau et une dizaine de convives, ont passé chez lui une soirée arrosée, à l’issue de laquelle ces crétins se sont précipités dans la Seine. C’est ainsi que Scarron aurait attrapé la polio. Dans les pièces de théâtre de Molière, il y a trois grands absents. Dieu, en effet, à la différence de Shakespeare, ses personnages ne l’interpellent jamais, Molière s’adresse aux hommes. La figure de la mère, Molière avait perdu la sienne très jeune. Et enfin, le vin avec lequel l’auteur reste toujours pudique. Même lors du grand repas qu’organise Monsieur Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme pour séduire Dorimène, l’hôte n’y touche pas, l’alcool n’est présent que dans cette chanson « buvons, chers amis, buvons, le temps qui fuit nous y convie », et quoi de plus naturel finalement que cette association entre la musique et le vin ? Comme elle, le vin est un flot qui inonde l’âme. Car on se noie dans le vin, on ne l’escalade pas ! Mais on peut aussi y nager et y être très heureux. Ne parle-t-on pas de brasseur pour ceux qui élaborent la bière ?

En réalité, l’alcool et l’ivresse de Molière ce sont les femmes. Il savait les regarder. Dans chacune de ses pièces, la femme résiste, lutte, Elvire contre Dom Juan, Dorine contre Orgon… Elle n’est jamais béni-oui-oui. Dans sa vie, c’est la même chose, jusqu’à cinquante et un ans, il a une vie sexuelle très active, il avait ses maîtresses dans sa troupe qui l’ont inspiré pour créer ses personnages. Alors que Marivaux par exemple donne aux femmes une image beaucoup moins intéressante. Elles n’ont aucune révolte, elles se contentent d’être belles et amoureuses. Cette façon de s’oublier dans les femmes plutôt que l’alcool a d’ailleurs coûté cher à Molière. Que l’on songe à la trahison de la Marquise Du Parc qui l’a quitté pour Racine. L’ivresse des femmes est définitivement plus dangereuse que celle du vin. Dans l’ivresse du vin, on s’oublie, alors que dans l’ivresse des femmes, ce sont les femmes qui nous oublient ! D’ailleurs, les femmes ne supportent pas d’avoir en face d’elles un homme ivre parce qu’il leur échappe dans le vin. Elles se disent : « Cela veut dire que mon ivresse à moi ne te suffit pas ? » Imaginez Delon saoul face à Romy Schneider, cela ne passe pas… Bien-sûr, il y a aussi certains hommes qui jouent l’ivresse, comme Gainsbourg qui a créé un personnage. Alors qu’il était très éduqué, toujours coiffé et impeccable, jamais ivre, il se mettait en scène mal rasé, un verre à la main. Il aimait se faire passer pour Philinte, affable et prompt à faire la fête avec ses amis, alors qu’il était plus proche d’Alceste. Tout le monde a marché. La différence entre Gainsbourg et Gainsbarre, c’est la différence entre Jean-Baptiste Poquelin et Molière… Je me souviens d’ailleurs de sa venue à l’une de nos représentations de Dom Juan, il était au premier rang et il s’est retourné vers le public en s’exclamant : « vos gueules, c’est du Molière ! »

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