En confiant à Jean-Marc Jancovici la conférence de clôture de son assemblée générale, l’Association viticole champenoise a d’emblée affiché la couleur. Les vignerons réunis étaient d’autant plus enclins à prendre la mesure de la situation, que toutes les prédictions de ce polytechnicien leur avait faites lors de sa précédente venue il y a vingt ans, se sont réalisées. La Champagne qui connaîtra sans doute à la fin de ce siècle un climat tempéré chaud a décidé de prendre le problème à bras le corps avec pour objectif le Net Zéro Carbone en 2050
La neutralité carbone pour une entreprise est une illusion. Dès lors qu’elle produit, elle émet forcément du CO2. Elle peut néanmoins atteindre, comme se l’est fixé jeudi dernier l’ensemble de la filière champenoise à horizon 2050, l’objectif « Net zéro carbone », en réduisant d’une part drastiquement ses émissions (les Champenois visent 75 %), en stockant du carbone, et en compensant le reste.
Compenser est toujours hasardeux, la priorité est donc de réduire. On notera qu’en Champagne, le label Viticulture durable en Champagne, est l’une des rares certifications à inclure les émissions dans son référentiel, ce qui n’est pas le cas par exemple des labels bios. Cette réduction est d’autant plus difficile que les sources d’émissions se multiplient, provoquées elles-mêmes par le réchauffement climatique.
L’exemple le plus flagrant est celui de la thermorégulation dans les installations vinicoles. À la vendange, les pics de température apportent des raisins de plus en plus chauds et certains sont tentés de recourir à des maies refroidissantes pour éviter la casse oxydative. Le Comité Champagne, via son programme Copernic, accompagne les exploitations (déjà 40 structures depuis septembre 2021) afin d’établir des diasgnostics sur la performance de leurs installations viti-vinicoles et trouver avec eux des solutions pour l’améliorer. « Au niveau de la maie et du belon, le refroidissement n’est pas efficace à moins d’avoir à disposition beaucoup d’énergie. Le refroidissement d’un même volume sur 12 heures en cuve de débourbage n’a besoin lui que de la moitié de cette quantité d’énergie. Le refroidissement systématique des moûts à l’écoulement pourrait coûter 10,5 MGWH supplémentaires, soit une augmentation de 6 % de la consommation électrique actuelle nécessaire à l’élaboration de nos vins et je ne vous parle pas du coût financier à partir du 1 er janvier 2023 ! » explique Arnaud Descôtes, directeur général du Comité technique. Des solutions simples existent pourtant, comme la cueillette aux premières heures du jour, ou le recours à des caisses de couleur claire… Les autres points de consommation essentiels sont évidemment la bouteille, les packagings, le carburant des tracteurs, les fertilisants, les transports des personnes et de la marchandise… Sur tous ces aspects, une nouvelle feuille de route devrait être présentée l’année prochaine.
Côté stockage du carbone, on peut déjà l’opérer en partie à travers sa propre activité, en séquestrant par exemple davantage dans les sols. Néanmoins, les sols champenois sont déjà très riches en matière organique du fait de pratiques historiques, tels que les apports d’écorces, d’engrais organiques et plus récemment, grâce à la restitution des bois de taille. La marge de progression se limite ainsi à l’équivalent de 3 % des émissions de la filière. « La priorité va être de maintenir ce stock qui a plafonné voici quelques années et qui a plutôt tendance à décroître. Soit dit en passant, la médiatisation du stockage de carbone dans les sols est inversement proportionnelle à la bibliographie scientifique sur le sujet. » Le deuxième levier de stockage sur les exploitations réside dans la plantation de haies autour des parcelles, avec cette fois davantage de potentiel. « En étant optimiste, on peut espérer stocker l’équivalent de 7 % de nos émissions de CO2 de cette façon. »
Les 15 % restants devront être financés par des projets de compensation extérieurs. « Dans l’idéal, ces projets devraient être en lien avec l’aire de l’appellation. On peut par exemple penser à la gestion durable de forêts et de zones humides régionales, la production locale d’énergie en lien avec les acteurs de notre territoire, des partenariats avec des voisins agriculteurs… Ces projets pourraient même s’inscrire dans la logique d’économie circulaire, le bois issu de ces forêts pourrait par exemple servir à des fûts ou des charpentes de bâtiment, de même, l’énergie produite localement pourrait alimenter nos procédés. J’ai l’impression que beaucoup de monde veut se positionner aujourd’hui sur le marché du carbone. Si nous voulons rester maîtres de notre destin, et éviter d’acheter sur un marché fluctuant des crédits carbones parfois opaques, nous devons sans attendre initier nos propres projets qui porteront leurs fruits dans plusieurs années. Là-encore, on retrouve la force du collectif. Le net zéro carbone est difficile à atteindre à l’échelle d’une entreprise, qui plus est lorsqu’elle est en croissance. En revanche, à l’échelle d’un territoire, d’une appellation, c’est déjà beaucoup plus envisageable. »
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