Pierre Desanlis est le nouveau directeur de l’Union Champagne qui réunissait vendredi son assemblée générale. Avec ses 1 470 hectares d’approvisionnement, et sa présence très forte sur la Côte des blancs, cette « Super coopérative » qui voit le négoce comme un partenaire et non comme un concurrent, nous dévoile les clefs de son succès
Depuis des années, les ventes des champagnes de Récoltants coopérateurs régressent, la tendance se serait-elle inversée ?
Jusqu’en 2020, on constatait une décroissance des ventes de ces bouteilles récupérées par nos adhérents pour les revendre sous leurs marques, ces vignerons « RC » étant essentiellement centrés sur un marché français de moins en moins dynamique. L’avantage du statut de RC par rapport à celui de récoltant-manipulant, c’est que lorsque le RC voit ses ventes diminuer, il ne conserve pas un surcroît de stock, la coopérative reprendra les bouteilles qu’elle commercialisera sous ses marques. En 2022, on observe effectivement une inversion de la tendance, puisqu’on est passé de 1 300 000 bouteilles reprises par nos adhérents à 1 500 000 ! Cela s’explique par la hausse générale de la demande de champagne, mais aussi par le retrait partiel du négoce du marché français, les maisons préférant aller davantage vers l’export où elles dégagent plus de valeur ajoutée. Sous l’effet de la pénurie, on observe aussi des importateurs étrangers qui commencent à s’intéresser aux RC alors qu’ils les snobaient jusqu’ici pour des raisons idéologiques au profit des RM. Il faut noter que ce type d’opérateur cherche des vignerons capables de proposer un certain volume, en général d’au moins 10 000 bouteilles/an, ce qui implique déjà un écrémage. L’apport des RC n’est donc pas de trop, et offre une alternative d’autant plus intéressante qu’ils sont qualitativement au top ce qui constitue une autre découverte pour les importateurs. En effet, les champagnes rendus à nos adhérents bénéficient d’assemblages en tous points identiques à ceux de notre marque De Saint Gall, seuls les dosages diffèrent.
L’Union Champagne apparaît aussi comme un bouclier pour conserver le foncier des vignerons…
Comme le déclare Dominique Babe, notre président : « Nous préférons voir les négociants acheter notre raisin que notre foncier. » Nous aurions pu faire comme certaines coopératives consœurs, et choisir de tout vendre sous notre marque. Les maisons ne nous verraient alors plus comme un partenaire mais comme un concurrent. Elles ne se gêneraient pas pour aller démarcher tous les vignerons en direct. Certaines sont déjà très riches en foncier et peuvent proposer des solutions avec lesquelles nous ne pouvons rivaliser. Un vigneron qui a des terres voisines des leurs, pourra exploiter une partie des vignes de la maison, en échange de la livraison des raisins de l’ensemble de son exploitation… Elles chercheraient aussi à acheter davantage de vignes en y mettant le prix. C’est pourquoi nous avons limité statutairement la proportion de bouteilles que nous pouvons vendre et que nous consacrerons toujours une part importante à la vente en vins clairs au négoce. En revanche, nous veillons à ce que ces vins soient redistribués intelligemment entre les plus belles maisons (une vingtaine), celles qui créent de la valeur. L’idée n’est pas d’aller alimenter des négociants qui vont faire des coups et dégrader l’image de l’appellation.
Une autre évolution à contre-courant est votre formidable développement de la prestation auprès des Maisons, alors que les autres coopératives doivent abandonner ce terrain…
Sur le site d’Oger dédié à cette activité, nous venons de construire un cinquième module qui permet de stocker pour les maisons cinq millions de bouteilles supplémentaires, nous y avons installé aussi des remueurs supplémentaires. Il est vrai que d’autres coopératives ont vu les maisons leur dire « nous arrêtons, nous sommes désormais suffisamment équipées pour réaliser ces opérations nous-mêmes ». Mais la manne quantitative et qualitative d’approvisionnement dont nous disposons est telle, qu’elles ne peuvent pas tenir avec nous un tel discours. Nous sommes la dernière super coopérative avec laquelle elles continuent à traiter à un pour un, c’est-à-dire qu’à chaque fois que nous engageons un hectare d’approvisionnement chez elles, nous récupérons en contrepartie un hectare en prestation.
Vous annoncez aussi un recul prochain des ventes aux marques d’acheteurs…
La marque de Saint Gall connaît un grand succès et affiche aujourd’hui 300 000 bouteilles vendues sur le réseau traditionnel. Comme nous ne voulons pas réduire nos ventes au négoce, le seul moyen dont nous disposons pour alimenter davantage cette marque qui crée de la valeur, c’est de rogner sur les ventes aux marques d’acheteurs. Le problème des marques d’acheteurs, c’est qu’elles peuvent se tourner à tout moment vers d’autres élaborateurs. Néanmoins, nous souhaitons continuer à travailler avec elles. Pendant le Covid, elles nous ont rendu service, car même si les contrats signés ne portent que sur une année, cela reste un engagement sur lequel elles ne peuvent revenir et cela tire des volumes. Tesco en Angleterre par exemple, représente un peu plus du 1/3 des volumes que nous commercialisons annuellement. En réalité, nous souhaitons plutôt faire un tri en écartant les marques d’acheteur à petit débit et à faible valeur ajoutée.
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