En Champagne, en 1937, les ouvriers cavistes réclamaient la retraite à 55 ans…

Alors que les Français se déchirent autour du serpent de mer de la réforme des retraites, un coup de projecteur en arrière met en évidence l’avant-gardisme de la Champagne sur le sujet et l’intensité des débats qu’il suscitait déjà il y a un siècle.

En 1937, dans « La Champagne ouvrière », la CGT réclamait la retraite à 55 ans. En pleine crise, elle mettait en avant qu’il s’agissait aussi d’une solution contre le chômage. « Dans quelques rares Maisons, (…) ceux qui ont atteint la limite d’âge allant jusqu’à 70 ans, ceux là ont un os à ronger. C’est l’expression qui convient, car les plus favorisés ne touchent qu’une allocation de famine de 100 à 200 francs. (…) Il faut donner aux hommes et aux femmes âgés de 55 ans la faculté de cesser le travail en leur assurant une retraite convenable (…) et permettre ainsi à la jeunesse de travailler. »

Un discours syndical dur à l’égard d’une profession qui se voulait à l’avant-garde en matière sociale. En effet, la spécificité du champagne au XIXe et au début du XXe siècle est d’avoir d’abord échappé à la mécanisation et à la taylorisation. Le travail du caviste restait un métier, nécessitant un long apprentissage et donc une stabilité du personnel. Il fallait trois ans pour faire un bon remueur ! Comment fixer ces ouvriers ? En leur offrant des conditions sociales avantageuses… En 1886, les maisons rémoises ont créé la Corporation des tonneliers, une société de secours mutuels pour rembourser les frais médicaux, cogérée et cofinancée par les salariés et les employeurs.

De même, alors que la première loi garantissant aux salariés du privé une retraite ne date que de 1930, en Champagne, dès le XIXe siècle, la Veuve Clicquot a créé une maison de retraite pour ses vieux ouvriers, « l’Hôtel des petits ménages ». Dans les années 1900, l’un de ses successeurs, Alfred Werlé, a soutenu un projet de caisse de retraite au sein de la Corporation des tonneliers à travers l’ouverture de livrets d’épargne sur lesquels l’ouvrier devait cotiser 0,35 francs par semaine et le patron 0,75. Ce livret n’aurait « jamais été perdu pour l’ouvrier », celui-ci pouvant en cas de décès, « en faire bénéficier sa famille. » La rente versée était fixée à 485 francs dès 60 ans. Pour se donner un ordre d’idée, 1 kilo de pain valait 0,50 francs. Sans être exorbitante, la pension envisagée n’avait donc rien de misérable. Alfred Werlé soulignait la justice de ce système qui faisait de la retraite « un droit, une propriété » et évitait la relation de dépendance malsaine induite par les politiques paternalistes des entreprises où l’accès à termes à une pension de retraite pouvait servir de chantage permanent. Le projet échoua cependant.

Dans les correspondances de 1929 d’une maison rémoise, revenant sur l’organisation des retraites en son sein avant la Première Guerre, on peut lire : « Il n’y avait pas de caisse de retraite. Nous avions pensé que nous pouvions faire mieux que de nous enfermer dans un système rigide. Et puis, nous craignions pour l’avenir des caisses (la chute du franc nous a donné raison). » Ainsi, le débat entre retraite par répartition et retraite par capitalisation était-il déjà ouvert, et la peur des effets de l’inflation faisait pencher en faveur de la première approche… La Maison préférait avoir un compte qu’elle approvisionnait au fur et à mesure selon les besoins pour payer les pensions.

Cette entreprise souhaitait de plus profiter du faible nombre d’ouvriers pour agir au cas par cas. Elle offrait ainsi aux ouvriers âgés mais encore en bonne santé, la possibilité plutôt que de leur verser une pension inférieure à leur ancien salaire, de les mettre à des travaux moins pénibles, comme le tri des bouchons, assis et au chaud. Elle leur maintenait alors la rémunération qu’ils touchaient lorsqu’ils réalisaient leurs tâches plus qualifiées. Aujourd’hui la mesure fait sourire. Mais l’offre séduisait. L’ouvrier gardait son niveau de vie et ne connaissait pas la désociabilisation qui accompagne parfois le départ du monde du travail.

La Champagne est restée aujourd’hui encore assez en pointe dans les avantages sociaux octroyés aux plus anciens. A partir de 60 ans ou dès 30 ans d’ancienneté, les salariés bénéficient de 6 jours de congé supplémentaire. De même, l’anticipation de la retraite à ceux qui ont commencé très jeunes à cotiser a été accordée avec 15 ans d’avance par rapport à la loi de 2003.

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