La Grande Dame Rosé 2015 : une Grande Dame avant d’être un rosé !

C’est sur un repas préparé par Mory Sako, star de la 11ème édition de top chef, que la Maison Veuve Clicquot a décidé de révéler la version rosé de La Grande Dame 2015 au restaurant MoSuke. Gaëlle Goossens, œnologue et wine quality manager de la Maison Veuve Clicquot, nous dit tout sur ce nouvel opus, mais aussi sur la technique du rosé d’assemblage, qui n’est autorisée qu’en Champagne et qui aurait été inventée par la Veuve Clicquot elle-même en 1818. C’est grâce à cette méthode que, tout en enrobant d’un peu de fruit ce champagne très minéral, la Maison parvient à garder la même droiture qui fait l’élégance de La Grande Dame dans sa version non rosée.

La Grande Dame 2015 brut était sortie en 2022, pourquoi ce décalage dans le temps de la version rosée ?
La Grande Dame Brut comporte déjà 90 % de pinot noir dans son assemblage. Pour la version rosée, la proportion est encore accrue puisqu’on ajoute 14 % de vin rouge issu du Clos Colin. Or, ce cépage a tendance à être réducteur. C’est un donc un vin qui a besoin de plus de temps pour s’ouvrir, s’épanouir.

Quelle est la spécificité du millésime 2015 ?
2015 était un millésime qui nous a challengé. Pour moi, c’est un cas modèle, l’une des premières canicules en Champagne où la maturation des raisins a été très rapide. Il y a eu de très beaux vins mais aussi des vins avec un profil très végétal. C’est la raison pour laquelle nous en avons peu dans nos cuveries de réserve. Il y a eu une précipitation dans la cueillette, lorsqu’on a vu monter les degrés. Aujourd’hui, on a l’habitude. On sait qu’il peut y avoir de plus en plus une dissociation entre le niveau de sucre et la maturité aromatique dans des années chaudes. C’était donc un exercice de style où il a fallu bien sélectionner les vins. L’idée était d’aller puiser dans les terroirs les plus froids, Verzenay, Verzy, où la maturation du raisin a été plus longue, les vendanges un peu plus tardives et où on a donc pu bénéficier d’une meilleure maturité aromatique tout en conservant de la fraîcheur dans les vins. Car si nous avons 90 % de pinot noir, nous ne voulons pas d’arômes de fruits mûrs, ou compotés. Nous voulons vraiment le pinot noir dans toute sa finesse, avec la minéralité et la droiture qu’il peut avoir en Champagne.


Parlez-nous un peu du Clos Colin dont le vin rouge est issu…
C’est la parcelle historique de la Maison utilisée depuis l’origine, lorsque la Veuve Clicquot en personne a initié le rosé d’assemblage. On a voulu l’étudier pour comprendre pourquoi elle avait toujours servi aux rouges de la maison. On s’est aperçu qu’elle était localisée entre deux vallons. Ces derniers forment des couloirs de courant d’air qui descendent de la Montagne ce qui fait remonter de l’air chaud au milieu. Le sol est également différent du reste du cru. On est sur une zone d’éboulis tombés du plateau, les éléments sont plus grossiers, avec beaucoup d’argile, la craie est plus lointaine. Le sol est ainsi très drainant, avec un stress hydrique plus important. Donc, si on additionne la ceinture chaude, l’exposition au sud, le stress hydrique, et une taille plus courte spécifique, on aboutit forcément à des raisins beaucoup plus concentrés.

Élaborer un rosé d’assemblage, est-ce plus facile ou plus difficile qu’un rosé de saignée ?
Dans l’esprit de beaucoup de gens qui ne connaissent pas la Champagne, élaborer du rosé d’assemblage en ajoutant du vin rouge à du vin blanc constitue une facilité par opposition aux rosés de saignée. On est d’accord, il est aisé de mélanger du vin rouge et du vin blanc ! Mais la vraie technique dans le rosé d’assemblage réside davantage dans l’élaboration du vin rouge. On n’élabore pas du vin rouge pour faire du rosé d’assemblage comme on élaborerait un vin rouge classique. On ne recherche pas la même structure tannique, c’est pour ça qu’on ne fait pas d’élevage sous bois et que la macération est plus courte. Il faut être très mesuré sur les tanins qui peuvent vite apporter de l’amertume. D’ailleurs, lorsqu’un rosé est mal équilibré, c’est souvent à cause de l’amertume. Nous modulons ensuite notre manière d’élaborer en fonction du type de rosé auquel nous destinons ce vin. Dans le cas du Brut rosé non vintage, on va être davantage sur le fruit, avec un côté gourmand, croquant. On va donc chercher, à travers une macération plus courte, à extraire moins de matière que dans La Grande Dame rosé. Dans cette dernière, on la pousse un peu plus, pour obtenir plus tard un côté un peu sous bois, un peu plus terroir et vineux, tout en restant dans la finesse. On peut accepter davantage de tanins parce que La Grande Dame a besoin de vieillir, ce qui exige une certaine structure. Cela permet aussi de mieux fixer la couleur dans le temps.

En Champagne, on a le droit pour le vin rouge d’opérer une thermovinification, avez-vous recours à cette pratique ?
C’est en effet autorisé et d’ailleurs c’est étonnant sur une appellation aussi stricte. Chez Veuve Clicquot, nous ne l’employons pas. Cette technique consiste à cuire le raisin pour en extraire le fruit. On obtient grâce à elle des éclats de fruit incroyables, beaucoup de gourmandise. Cela se pratique beaucoup dans le Nouveau Monde. À la dégustation, on en prend plein la vue tout de suite. Mais après, il n’y a rien derrière en termes de matière et de structure. Ce sont des vins qui vieillissent mal. Or, notre identité, c’est vraiment d’aller faire vieillir nos rosés. Donc nous utilisons une macération à la bourguignonne, parce qu’il s’agit du terroir de rouge le plus proche. C’est beaucoup plus exigeant. Dans le cas de la thermovinification, la qualité sanitaire du raisin importe moins, alors qu’ici, comme on a une macération, elle doit être impeccable. Le moindre arôme végétal va être exacerbé, le moindre grain pourri va corrompre toute la cuve. La sélection à l’entrée doit être draconienne.

Sur La Grande Dame Rosé 2015, comme dans La Grande Dame Brut, il y a aussi une pointe de chardonnay, notamment du Mesnil….
L’idée est d’aller ramener un peu de droiture. Le chardonnay apporte de la luminosité au vieillissement. Avec 100 % de pinot noir, on pourrait craindre que nos cuvées au bout de vingt ans deviennent un peu trop lourdes et vineuses. Le fait de rajouter ces cinq ou dix pourcents de chardonnay, c’est un peu comme le grain de sel qui permettra de rehausser l’équilibre du vin, surtout dans le temps, que le chardonnay traverse particulièrement bien.

Pour mieux comprendre la spécificité de La Grande Dame Rosé 2015 par rapport au Brut Rosé non vintage, quels accords préconisez-vous pour chacun ?
Le rosé non millésimé est un champagne de partage, il peut faire des merveilles à l’apéritif sur un plateau de fromage et de charcuterie. On est vraiment sur le fruit, les petites baies rouges, la poire, le côté brioché aussi, car on a quand même trois ans de vieillissement. La Grande Dame Rosé, c’est un vin plus profond et délicat, la cerise sera un peu plus noire que sur le non vintage, on a aussi des épices, du safran, du tabac qui ouvrent la possibilité d’accords complexes. La vinosité permet d’aller jusqu’à un magret de canard avec une sauce bien travaillée.

Le coffret La Grande Dame 2015 Rosé par Paola Paronetto est disponible au Printemps Haussmann et sur Clos19.fr au prix de 250€ TTC.

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