[Pichon Baron] Jean-René Matignon : 37 millésimes chevillés au corps

Jean-René Matignon est déjà à la retraite mais il a refait une apparition au Château Pichon Baron pour une verticale de ses 37 millésimes… autant d’années passées sur ce terroir mythique. Accompagné d’un panel de dégustateurs, l’ancien directeur technique du Grand Cru Classé 1855 de Pauillac a pris la mesure du temps qui passe.

Ce mardi 24 mai, des larmes sont montées plusieurs fois. Jean-René Matignon a été ému par les vins en présence de dégustateurs d’horizons divers et des équipes du Château Pichon Baron dont son successeur Pierre Montégut – également à la direction technique du Château Suduiraut – ou le directeur général d’AXA Millésimes Christian Seely. Les hostilités ont débuté sur le millésime 1985, Jean-René Matignon, le technicien originaire de la Loire, prenait ses marques à Pauillac. À l’époque, la famille Bouteiller était propriétaire des lieux. « Les moyens étaient modestes mais le grand terroir était là, en dégustant d’anciens millésimes, je savais où je mettais les pieds », explique-t-il. Si le 1985 montre quelques signes de fatigue, la divine surprise vient de 1986 avec un nez orgueilleux sur des notes torréfiées et une bouche qui délivre un vin encore très vivant sur les fruits confits et la fraise écrasée. L’année suivante est celle de l’acquisition du Château Pichon Baron par AXA Millésimes alors piloté par Jean-Michel Cazes. Matignon reste en poste et les trois derniers millésimes des années 1980 se dégustent toujours merveilleusement bien. Les 87 et 88 portent une grande fraîcheur où le fruit noir est lové dans du velours. La très belle année 1989 répond aux attentes avec un nez puissant et profond, en somme fidèle aux vins de Pauillac. L’attaque est dense et équilibrée, c’est Pichon Baron dans son grand art, avec une palette aromatique entre la menthe et le chocolat.

L’année suivante, 1990, fut très généreuse en raisins comme en témoigne Jean-René Matignon : « On disait que même les piquets de vignes avaient du raisin, pour autant d’importants rendements ne veut pas forcément dire que la qualité ne sera pas au rendez-vous, la preuve ». Le cabernet sauvignon se lâche, montre ses muscles. La bouche est du même acabit, d’une grande amplitude avec des notes de truffes et de cuir. En ce début des années 1990, Pichon Baron agrandit son terrain de jeu, passant de 50 hectares à 75 hectares, ce qui permet une meilleure sélection parcellaire pour élaborer le grand vin. Sur cette décennie, les 96, 97, 98 et 99 se sont magnifiquement comportés. Avec le 96, on retrouve Pichon Baron dans toute sa splendeur et ce dès le nez. C’est puissant d’arômes nobles, sur les épices et les fruits confits. L’attaque est vive, la longueur est immense, on retrouve la trame solaire du 1990. Le 97 est une belle surprise, suave et dense, offrant une grande buvabilité tandis que le 98 demande du temps pour s’ouvrir, fort d’une très belle acidité qui tient, tend, suspend le vin. Le 99 enfin, libérant un nez très chaud sur le poivron grillé. L’attaque est dense et fraîche, il y a beaucoup de matière en bouche. La réglisse se dispute aux fruits noirs, c’est très beau, opulent au sens rabelaisien du terme : bluffant !

Le millésime 2000 est d’abord mythique par son chiffre anniversaire. À Pichon, on semble entrer dans une nouvelle ère, avec un élevage plus structurant et une quête de densité et de gras. C’est un nez pâtissier qui s’impose mais délicat à quoi se mêlent des notes de chocolat au lait. La bouche est très suave, un gras conduit le vin et ses arômes de fruits noirs. Il est dense et séducteur, encore jeune… 2001 signe l’arrivée à la direction générale d’AXA Millésimes de Christian Seely et Jean-René Matignon poursuit son œuvre. « J’ai eu carte blanche, beaucoup de liberté, la priorité était à la qualité », souligne l’ancien directeur technique. Cette décennie 2000 est impressionnante de constance. Comme attendu, les 2001, 2005 et 2009 sont grandioses, portés par des conditions climatiques exceptionnelles. Les structures tanniques donnent des potentiels de garde étourdissants. Il faut noter les très beaux 2002, 2004, 2006, l’année du nouveau cuvier. Le millésime 2003, caniculaire, est toujours une curiosité pour les amateurs. Vingt ans plus tard, ce vin est debout, vivant, sur la fraîcheur, la complexité aromatique est superbe, c’est un vin à déguster en ce moment, un pur bonheur. Enfin, mention spéciale sur cette décennie au 2008, souvent oublié, négligé. Il offre une superbe patine, la maturité est parfaite, c’est grand, complexe et riche. Que 2010 soit en tous points génial est une lapalissade. Plus discret, le 2011 pourrait bien devenir avec les années une vedette. Son architecture ténue et sa tension sont annonciatrices d’une garde immense. Il deviendra un grand classique. « Chaque année est un combat mais on nous a toujours donné les moyens de trier, de garder le meilleur, ce qui nous a permis même en 2013, de faire un vin qui se goûte bien », confie Jean-René Matignon qui termine sa carrière après un septennat exceptionnel. Du millésime 2015 au 2021, c’est la puissance et la gloire, dixit Graham Greene, sous le signe de la densité et de la matière. Là encore, le plus discret en termes de sortie fut le 2017 et à Pichon Baron, c’est une bombe avec une sensation crayeuse en bouche. Nous sommes désormais dans l’histoire du temps présent et ces sept derniers millésimes seront à déguster dans 20, 30 ans. Ce mardi 24 mai 2022, Jean-René Matignon avait 37 ans, seul le magnum 1959 qui fut servi lors du déjeuner lui rappela son âge.

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