Parmi les 68 candidats et 65 pays présents au concours de Meilleur Sommelier du Monde, certains sont de grands habitués, d’autres sont venus en force, d’autres enfin sont là pour la toute première fois. De quoi déjouer tous les pronostics que l’on pourrait se hasarder à faire.
Ils étaient 68 sur la ligne de départ mardi soir, et dès ce jeudi soir, au moment de l’annonce des demi-finalistes, ils ne seront sans doute plus qu’une vingtaine à être encore dans la course. Il y aura des déceptions, sans doute, il y aura aussi des rêves brisés, mais il y aura pour tous les candidats la satisfaction d’avoir représenté leur pays (d’origine ou d’adoption) dans la plus grande compétition de sommellerie, qui plus est à Paris. 65 délégations sont présentes, certaines étant de grandes habituées de l’exercice, d’autres étant présentes pour la toute première fois.
L’Italie puissance 5
On trouve, aussi, des sommeliers originaires du même pays qui concourent sous des bannières différentes. C’est le cas des cinq candidats italiens, sans doute une première et un record pour nos voisins transalpins : Salvatore Castano, qualifié en tant que Meilleur Sommelier d’Europe & Afrique ; Mattia Antonio Cancia, désigné Meilleur Sommelier d’Italie ; Francesco Marzola, représentant la Norvège ; Andrea Martinisi, représentant la Nouvelle-Zélande ; Paolo Saccone, représentant l’Australie. « La sommellerie italienne est présente en force, et c’est fabuleux d’être là tous ensemble, défendant des pays différents. La sommellerie a longtemps été dominée par la France mais l’Italie a une ancienne tradition de service, et bien sûr une grande tradition viticole« , expliquent de concert Paolo et Andrea, qui sont partis aux antipodes pour exporter et développer leur expertise en sommellerie. Salvatore Castano, qui représente son pays et l’Europe toute entière, a une explication pour cette forte présence italienne : « la plupart d’entre nous ont en commun d’exercer en dehors d’Italie, c’est certainement le fait de nous être forgé une expérience internationale, sous d’autres latitudes, qui nous a permis de nous ouvrir aux grands vins du monde entier, de hausser notre niveau et d’être présents pour cette compétition« . Le fait d’arriver auréolé du titre européen constitue-t-il une pression supplémentaire ? « La pression, je me la mets déjà tout seul sans me dire que je suis plus attendu que d’autres candidats. Il est certain que le niveau de difficulté est encore plus élevé que pour le concours européen. Les épreuves de quart de finale étaient très relevées, c’est impossible de tout savoir et de trouver toutes les réponses au test théorique, avec seulement 90 minutes pour répondre à 100 questions. Nous avions ensuite 6 minutes pour identifier 4 vins à l’aveugle, puis un vin muté. Nous avions enfin un exercice de service avec mise en situation, qui durait 3 minutes. Difficile de dire comment ça s’est passé, d’autant que tout le monde a l’impression d’avoir répondu des choses différentes. »
Singapour, nouvelle place forte en Asie ?
Parmi les autres pays fortement représentés figure aussi Singapour, défendu par le tenant du titre de Meilleur Sommelier du pays, Joel Lim, mais aussi par le Meilleur Sommelier Asie-Océanie, Mason Ng. Ils sont tous les deux présents au concours mondial pour la première fois. Singapour serait-il en train de devenir la nouvelle place forte de la sommellerie en Asie, damant le pion au Japon ? « Singapour est petit en surface, mais il y a beaucoup de restaurants, d’hôtels, bientôt Vinexpo va s’y dérouler, cela devient un hub international où la qualité de service et de connaissance des vins, mais aussi de tous les produits asiatiques, ne cesse de progresser », souligne Mason Ng. « La communauté des sommeliers est encore modeste (moins de 150 personnes) mais elle grandit rapidement, tout le monde échange beaucoup, il y a beaucoup de dégustations à l’aveugle, d’entraînements en commun, avec une mise en commun des ressources qui nous tire tous vers le haut. C’est un honneur en tout cas d’être ici à Paris, et même si je ne remporte pas le concours, j’ai déjà énormément appris et progressé, ne serait-ce qu’après les épreuves d’hier qui était très exigeantes ».
Première fois à ce niveau également pour Grégory Mio, candidat français qui défend les couleurs du Luxembourg après avoir été désigné Meilleur Sommelier du pays moins d’un an après s’y être installé : « j’appréhende ce concours comme une formidable expérience et un apprentissage accéléré. On se confronte à du très haut niveau, on rencontre des confrères du monde entier. Les épreuves nous mettent vraiment face à nos limites, que ce soit sur le plan théorique ou pratiques. Lorsqu’on nous demande par exemple de connaître 16 bières de 16 pays différents ou de classer par ordre alphabétique les sous-parties d’une appellation sud-africaine, avec un timing très serré, c’est très exigeant. Quoiqu’il arrive ce soir au moment de l’annonce des demi-finalistes, pour moi cette participation est une source de progression, qui me servira pour les éditions suivantes ».
Cinquième participation pour Eric Zwiebel
Sur la notion d’expérience, Eric Zwiebel en connaît un rayon. Le sommelier alsacien, qui concourt sous la bannière du Royaume-Uni, participe pour la cinquième fois au concours de Meilleur Sommelier du Monde ! « Lorsqu’on a participé aussi souvent que moi, on a presque fait le tour de toutes les émotions. On a connu les grands moments de réussite, les moments où on est tombé dans le trou, où il a fallu se redresser, lutter contre le doute, garder espoir. Toute cette expérience, personne ne peut me la prendre, mais forcément on se pose des questions : a-t-on toujours la mémoire assez opérante ? Les bons réflexes ? Est-on encore assez frais face à la jeune génération qui arrive ? C’est presque une méditation philosophique, et c’est la beauté de ce concours : même si l’on ne veut pas stresser, on stresse quand même. Une fois qu’on y est, tout le monde perd un peu ses certitudes, on sait que tout peut arriver, il peut y avoir des déceptions de la part de grands noms très attendus, ou des surprises venues de nulle part. On a des cas de figure comme Gérard Basset qui a gagné à force de persévérance, ou comme Marc Almert qui a gagné très jeune dès sa première participation. Ça pose des questions… Mais j’essaie de me mettre moins la pression qu’autrefois, même si je suis venu bien préparé, avec ce que cela signifie de sacrifices sur votre temps de travail, votre vie privée : la compétition c’est presque une drogue… C’est très certainement ma dernière candidature. Bien sûr que j’ai envie de gagner, mais quoiqu’il arrive, je resterai un homme heureux et un papa comblé ».
Eric Zwiebel et Grégory Mio sont, avec bien sûr Pascaline Lepeltier, Bruno Scavo (Monaco) et Reza Nahaboo (Suisse), les cinq candidats d’origine française, à égalité avec l’Italie, présents à ce concours.
« Il y a 10 ans, jamais je n’aurais imaginé être ici »
Parmi les pays qui sont présents pour la première fois au concours figure l’Équateur, invité en tant que « pays observateur » sur les rangs pour rejoindre l’Association de la Sommellerie Internationale (ASI). José Maria Aguirre, qui représente ce petit pays sud-américain, savoure le moment : « je viens d’un pays qui n’a pas de tradition viticole, ni de tradition de la sommellerie. J’ai rapidement su que je voulais travailler dans le service et l’hospitalité, et c’est en voyageant et étudiant aux États-Unis que j’ai vraiment commencé à envisager de travailler dans cette filière. J’ai travaillé aux États-Unis pendant 15 ans puis, avec la pandémie, je suis rentré chez moi et j’ai ouvert une activité d’importation de vins fins. La sommellerie équatorienne démarre à peine, nous avons encore beaucoup de points de progrès, mais nous voulons nous faire une place sur la carte de la sommellerie sud-américaine et mondiale. Pour moi, être ici à Paris est déjà une formidable opportunité, avec une exposition hors du commun, au côté de grands professionnels du monde entier : si je suis en demi-finale ce soir, ce ne sera que du bonus ; si je n’y suis pas j’aurai tout de même gagné – il y a dix ans, jamais je n’aurais imaginé être ici. Et j’ai le sentiment de poser les bases pour ceux qui viendront après moi ».
Beaucoup de nouveaux candidats partagent ce parcours, comme Tawanda Maruma, qui représente le Zimbabwe. Après être « tombé dans le vin » en 2008-2009, il se prend de passion pour cet univers et suit une formation à Cape Town en Afrique du Sud, apprenant les arcanes du métier, l’art des accords mets & vins. Après l’entrée du Zimbabwe au sein de l’ASI en 2020, Tawanda participe d’abord au championnat Europe & Afrique à Chypre, avant de récidiver à Paris cette semaine : pionnier de la sommellerie dans son pays, il souligne cette fierté « de représenter mon pays pour la deuxième fois, surtout ici, en France, en présence de si grands sommeliers. J’ai toujours rêvé de représenter le Zimbabwe et c’est formidable d’être là, j’apprends énormément. Après le concours européen, celui-ci est encore plus relevé, tout ce que l’on peut faire est donner le meilleur de soi pour s’entraîner. Quoiqu’il arrive pour moi dans cette compétition, ce n’est pas une conclusion, ce n’est que le début : j’ai le privilège d’ouvrir la voie à tous les jeunes sommeliers africains qui suivront, leur dire qu’ils doivent croire en eux : j’ai regardé les images de la finale de 2019, il y avait Raimonds Tomsons et Nina Jensen, je me disais ‘qu’ils sont forts !’ et cette année je suis en compétition avec eux. C’est incroyable. »
C’est le même sentiment de fierté et d’enthousiasme que l’on trouve chez Khahn Vi Le Hoang, qui incarne la toute première candidature du Vietnam : « dans mon pays, il n’y avait pas vraiment de la culture de la sommellerie, alors avec des amis passionnés de vin comme moi, nous avons fondé l’association des sommeliers vietnamiens en 2017, qui est devenue officielle en 2019. C’est extrêmement récent, et après avoir participé à plusieurs compétitions nationales, c’est moi qui ai la chance de porter cette candidature. C’est vous dire l’honneur d’être ici, à Paris, parmi les plus grands sommeliers du monde, pour défendre les couleurs du Vietnam et contribuer à développer la culture du vin dans mon pays ».
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